In girum imus nocte ▬ Erich

La nuit allait être longue. Il s'agissait là des seules pensées qui hantaient le crâne d'Eleonora alors qu'elle essayait de faire corps avec le mur blanc, comme sa robe, auquel elle était présentement adossée. Se faisant le plus discrète possible dans un coin de la vaste salle de réception qui s'étendait au rez-de-chaussée de la demeure de ses parents, elle regardait du coin de l’œil les différents invités du soir arriver progressivement. Bien que chez-elle, la demoiselle ne se sentait étrangement pas à sa place au milieu de tout ce beau monde. Et ce sentiment n'allait certainement pas la quitter de toute la soirée qui, comme elle se le répétait depuis le début de la journée, allait être très, très longue.

Perdue dans sa contemplation du sol de la pièce qu'elle connaissait par cœur, elle sursauta au moment ou un couple d'invités, accompagnés pour l'occasion de leurs enfants, vinrent la saluer, sûrement pour la forme. Elle fit du mieux qu'elle pu pour leur adresser les salutations les plus respectueuses possibles mais fut surtout bien soulagée lorsqu'ils s'éloignèrent finalement, la laissant de nouveau seule avec ses amis le mur, son ombre et le carrelage.

Eleonora soupira alors qu'elle pouvait voir au loin Monsieur et Madame Endrizzi, un verre à la main, discuter avec elle ne savait même pas quels notables de la cité du Vatican. Alors qu'elle, comme toujours, allait se complaire dans une solitude protectrice, attendant sagement, sans se faire remarquer et sans causer de soucis à qui que ce soit, que la soirée se termine. Ses propres parents ne la remarqueraient probablement même pas, d'ailleurs.

Encore une belle soirée.

Erich se démenait avec son nœud de cravate. Il aurait bien voulu, ce soir, passer une nuit à dormir paisiblement, comme la fois où il s’était pour ainsi dire bourré. Quitte à descendre en douce une bouteille d’alcool fort qui trainait dans l’armoire à alcool du boudoir, qu’on ne sortait que quand Madame recevait. La disparition passerait inaperçue, ça, il en était sûr. Cet épisode, il l’avait d’ailleurs joliment maquillé. Il n’avait pas dormi sous le porche d’une église non, mais chez un ami habitant proche du lieu où s’était finie la soirée. Mutter n’avait pas demandé plus. Il n’avait rien ajouté. Elle ne lui avait même pas remonté les bretelles et Mae s’était dit qu’il avait peut être gagné en estime à ses yeux, ne se confortant pas dans le moule qu’elle lui avait prédéfini, mais volant de ses propres ailes. La troisième fois fut la bonne et il souffla de satisfaction. Ce soir, les enfants, cloué tout deux par une grippe ne seront pas de la partie. A la grande joie de Mattaus et au grand désarroi d’Elise qui adorait ce genre d’évènement qui consistait pour elle de dormir ailleurs de sa chambre sans que personne ne la réprimande, de jouer avec d’autres enfants de son Age et de pouvoir s’empiffrer autant qu’elle voulait. Erich sursauta, sa mère l’appelait, sur le départ. Posant sa tête contre son épaule, un instant, comme ayant besoin d’être rassurer, les longs doigts finement manucurés de la dame vint lui caresser la joue, comme pour le rassurer. Du courage, il lui en faudrait, surtout après la mission qu’il s’était donné, s’auto proclamer « chat » face à la souris Nora qui chercherait probablement un petit trou pour se planquer. Il avait parlé de cette mission à sa mère, que cela avait fait beaucoup rire, heureuse d’être dans la confidence.

On se mit en route, rejoignant rapidement la demeure des Endrizzi. Madame Endrizzi accueillit son amie de longue date avec moins de contenue que cette dernière aurait voulue, pas encore habituée au besoin de chaleur humaine constant des italiens. Mae partit lui à la recherche de la souris, tournant probablement pendant une dizaine de minutes dans la demeure, la trouvant un sourire aux lèvres. La surprenant en posant une main sur l’épaule, il prit son bras, l’emmenant ailleurs

« On va donc revoir, professeur, les tenants et les aboutissants du concept de soirée, histoire que ce soit clair pour nous deux. Nous sommes d’accord sur le fait que ce genre d’évènement et d’abord fait pour se montrer et ensuite tisser des connaissances, non ? Alors, dites-moi ce que vous fabriquiez, en train de vous transformer en statue dans un coin de pièce pas fréquentée . Il m'a fallut dix minutes pour vous trouver. »

Le cœur d'Eleonora manqua un, ou peut-être même plusieurs battements au moment où une main vint se poser sur son épaule. Surprise, son teint se fit livide alors qu'elle tournait doucement ses yeux en direction de la personne qui venait de lui faire presque avoir une attaque. Erich. La demoiselle laissa filer un soupire, soulagée, alors qu'elle s'attendait encore à devoir bafouiller de pompeuses salutations pendant dix bonnes minutes.

"Oh, b... bonsoir... Je ne savais pas que vous seriez là..."

Oh, on le lui avait sûrement dit, mais cela lui avait probablement encore échappé, comme beaucoup de choses. Ceci dit, elle eut à peine le temps de terminer sa phrase et de se remettre de sa surprise que déjà, le jeune homme la capturait. Gênée au possible, Eleonora baissa les yeux, essayant d'éviter à tout prix de croiser le regard des autres invités, priant pour qu'on l'ignore. Au moins un petit peu. Oh et puis, ils la connaissaient à force, ils avaient l'habitude.

"J...je... e... eh bien..."

Et l'étudiant venait de lui demander ce qu'elle pouvait bien faire, immobile dans son coin. Elle se doutait toutefois qu'il devait probablement déjà avoir sa réponse, c'était évident après tout.

"J... je... ne voulais déranger personne a... alors..."

Eleonora se perdit dans un murmure de paroles inaudibles et bafouillées, qui tenaient probablement de la justification afin de ne pas directement dire "Je me faisais discrète pour qu'on me laisse tranquille", avant de relever les yeux vers Erich.

"D...dire que je pensais que ma discrétion était mon plus grand talent, mais on dirait que je n'étais pas très bien cachée... ah... ahahah..."

En effet, le jeune homme l'avait plus ou moins rapidement repérée, à croire qu'il s'agissait d'une mission qu'il s'était donné. Il valait mieux en rire.

[HRP : Aucun problème, je ne suis pas très efficace non plus ces temps-ci. Désolée si ce n'est pas terrible niveau qualité d'ailleurs, mais fiou, la semaine a été difficile !]

Il l’avait surprise. Un instant, il avait cru qu’elle l’avait oublié. Que cela n’avait été qu’un rêve parmi d’autres. Un rêve qui se serait réalisé dans quelques jours, quelques semaines. Qu’on l’avait en fait oublié dans l’amphithéâtre et qu’il avait continué à dormir. Ah. En fait non, elle s’en souvient. L’enfant femme se fond en excuse et Mae se retient de lui dire que se transformer en statue de sel comme la femme de Loth était tout sauf une solution pour ne pas attirer l’attention. Et puis, toi, tu te souviens de la promesse que tu t’es faite, la dernière fois que vous avez passé du temps ensemble. Objectif de la prochaine soirée : faire sortir la souris de son trou. La faire agir comme quelqu’un d’à l’aise dans ce genre de soirée. Tu comptais en fait un peu sur ta fratrie pour la faire bouger. Malheureusement, ce soir, la fratrie est hors service alors il va falloir trouver autre .Tu la garde près de toi, la protégeant quelque peu, comme tu le feras surement quand ta petite sœur sera adolescente. Tu seras ce même grand frère poule, embêtant car trop protecteur, trop intrusif .Tu te feras surement haïr pour ça. Surement. Qu’Eleonora risque de te détester à la faire sortir ainsi de sa routine, de son habitude. Tant pis, elle te haïra mais tu ne feras pas mentir la promesse que tu t’étais fait.

« Ils sont chez vous, c’est donc eux qui vous dérange et pas l’inverse, gardez cela en tête. Ils sont venus pour la plupart de leur plein gré, je doute un peu pour ceux de notre génération … D’ailleurs, à part vous et moi qui faisons descendre la moyenne d’âge, je n’ai pas vu beaucoup de jeunes adultes. »

Pause alors qu’il l’entraine vers le buffet, lui tendant une coupe de champagne avant d’en prendre une à son tour

« Et bien changez de talent. L’imitation de la souris n’étant pas ce qu’elle est, préférez une imitation plus subtile. N’y a-t-il personne avec qui vous souhaiteriez discuter ? Moi, je m’impose à vous, allez-vous imposer à quelqu’un d’autre qui trouvera votre conversation intéressant parce qu’elle apprendra des choses. Un conseil, préférez les vieilles dames sociables, les grands-mères dans l’âme, toujours bienveillante face à la jeunesse, pas les acariâtres. »

Il trempe les lèvres dans le breuvage. L’idée ici n’est pas de faire taire les rêves pour une nuit tranquille mais plus paraitre. Tu ne lui avoueras jamais, à la souris, que la raison de ton assurance, c’est parce que vous êtes deux et pas tout seuls.

Elle écoute, gênée. Gênée parce qu'au fond, elle sait bien qu'il a raison et qu'il dit la vérité. Comme la dernière fois, comme à chaque fois que quelqu'un lui parle au final. Timide, elle prend la coupe qu'il lui tend et, maladroitement, la porte à ses lèvres. Un frisson la parcourt alors qu'elle quitte le contact du verre. C'était évidemment trop fort pour elle, même ça. Elle avait déjà essayé mais s'était dit que tenter de nouveau l'expérience ne coûterait rien.

"D...discuter, hein..."

Elle jeta un bref coup d’œil autour d'eux, histoire d'observer les invités qui devaient désormais tous être là. Et en effet, ils étaient un petit peu seuls au milieu d'un océan d 'adultes. Cela ne changeait toutefois pas grand chose pour Eleonora, qui était aussi peu à l'aise pour parler à un vieillard qu'à un jeune adulte ou même un enfant. Quoique les enfants, ça allait. Oui... ça allait. Et d'ailleurs, en parlant d'enfant...

Elle en voyait un du coin de l’œil qui venait de trébucher et de tomber de tout son long sur le sol carrelé. Sa mère, probablement à l'autre bout de la salle et trop occupée à discuter avec allez savoir qui, ne prêtait bien évidemment pas attention aux pleurs du jeune enfant. Ni une, ni deux, délaissant sa coupe de champagne qu'elle n'arriverait pas à terminer, Eleonora s'envola en direction du petit garçon.

"Ça va ? Tu ne t'es pas fait trop mal ?"

Elle s'était mise à son niveau et essayait de lui sourire du mieux possible afin de le rassurer. Ce n'était probablement pas du tout ce à quoi Erich pensait lorsqu'il lui avait dit d'aller discuter avec quelqu'un mais... après tout, elle faisait tout de même la conversation avec quelqu'un!