5h30. Un regard vers le réveil, puis yeux qui se ferment à nouveau.
7h. Nouvelle tentative, vaine.
8h. On sonne à ma porte.

Difficilement, je glisse mes pieds dans mes pantoufles et soulève mon corps trop lourd. Je me traine jusqu'à la pièce adjacente, ouvre un placart et renverse la moitié de celui-ci dans mon lavabo pour prendre une boite fermée de façon hermétique et me déplace jusque dans la dernière pièce de mon appartement pour attraper un verer d'eau. J'ignore les tappements qui retentissent à ma porte pour avaler deux des gellules aux creux de ma paume.
Avec un soupire je me force à rejoindre la porte. Tout en me grattant la tête au milieu de mes cheveux ébourriffés je l'ouvre. Tant pis pour l'aspect pas glamour, on a tous déjà eu des jours sans.

Je cligne des yeux pour tenter de m'habituer plus vite à la forte lumière extérieur et finis par dicerner une chevelure blonde. Pas celle que j'apprécie... UNE SAINTE !? Chez moi !? à ma porte !? Et qui plus est celle de la Basilique !?
Un rapide coup d'oeil me permet de voir qu'elle est seule. On ne m'arrête donc pas, pas tout de suite.
Je n'attends pas plus et défait le loquet de la porte, m'effaçant pour la laisser entrer. De mon bras libre je désigne la petite table en bois situé plus loin accompagné de ses deux chaises.

"Entrez je vous en prie."

Être polie, d'abord.

Ce matin, Alicia s'était levée avec la ferme intention d'aller rendre une petite visite à Rubis Ehning, la demoiselle qu'elle soupçonnait fortement d'être responsable de l'attaque à l'encontre d'Allistair. La jeune Sainte laissait le soin à Barbara et ses hommes de creuser les autres pistes, elle, elle allait s'occuper de la bibliothécaire mystérieuse. Mystérieuse car Alicia était persuadée qu'elle possédait une bénédiction sans toutefois en connaître la nature. Et elle ne pouvait pas attendre que les bureaucrates fassent leur travail.

Lorsque les cloches des différentes églises de la cité du Vatican sonnèrent très exactement huit heures, Alicia appuya sur la sonnette du lieu où vivait la rousse. En bon bras droit du Pape, connaître l'adresse des citoyens de la ville était, vous vous en doutez, une simple formalité pour la blonde qui n'avait eu qu'à demander une petite recherche.

Croisant les bras, elle attendit, déjà prête à devoir enfoncer la porte s'il le fallait, ou à n'importe quelle autre mesure extrême si Rubis ne se montrait pas coopérative. Préparation mentale inutile puisqu'après lui avoir ouvert la porte, la jeune femme se montra passablement docile. Cela lui facilitait au moins la tâche de ce côté là.

Sans se faire prier plus longtemps Alicia entra donc, marmonnant un bonjour glacial, dans l'appartement de la rousse, laissant ses yeux divaguer un instant dans une observation minutieuse des lieux avant de finalement s'asseoir là où la propriétaire des lieux l'invitait à le faire. Les bras croisés, dévisageant son interlocutrice, la jeune Sainte laissa quelque peu s'installer un lourd silence avant de finalement prendre la parole.

"Mademoiselle Ehning, je ne vais pas y aller par quatre chemins. J'ai quelques questions à vous poser."

Les facettes de la personnalité d'Alicia étaient multiples, et c'est donc avec une aisance certaine qu'elle troquait sa bonne humeur et son hyperactivité chronique pour un ton sec et froid comme le nécessitait son rang.

"Ma première question est la suivante : avez-vous été bénie et, si oui, quelle est la nature de votre bénédiction ?"

Autant y aller franchement dès le début. Alicia n'était pas du genre à faire traîner un interrogatoire.

Sans montrer plus de manière que cela, la sainte pénétra dans ma demeure et rejoint la table.
Je referme la porte derrière elle et regarda mon appartement de la même manière qu'elle. Il était présentable, heureusement, si on ne regardait pas la salle de bain.
Je traine des pieds jusqu'à la pièce adjacente et referme la porte pour que l'abondance de médicament ne soit plus visible à la sainte. C'est sûrement trop tard m'enfin elle n'avait cas pas passer à l'improviste.
Pendant que je la rejoins elle a déjà commencé à parler. Elle est impatiente cette jeune-là.
Je tire la chaise face à elle, et l'écoute docilement. Je sais déjà ce à quoi je dois m'attendre. Et c'est sans peine que j'affiche une mine surprise à sa question.

"Bénie ? Moi ? Pourtant non... J'avoue ne pas bien comprendre ce qui vous ammène à penser cela..."

L'Etat n'était-il pas au courant de toutes les bénédictions ? Faut dire que la mienne est assez récente, sûrement pas encore décelée.
J'affiche mon expression la plus innocente et la plus inquiète pour continuer d'une voix alarmé :

"Me suis-je fourrée dans une galère ?"

La maladie m'aide à avoir l'air plus pitoyable, c'est presque une bonne chose de me sentir toute patraque comme ça !

À la réponse de son interlocutrice, Alicia fut bien incapable de retenir un soupir déjà exaspéré. La patience était quelque chose qu'elle n'avait jamais pu trouver dans son dictionnaire personnel, et cela n'allait pas commencer aujourd'hui. Mais plutôt que d'afficher explicitement son exaspération, c'est avec un sourire entre moquerie et ironie qu'Alicia lui répondit.

"J'imagine que les mots basilique et Alistair Allaway associés l'un à l'autre vous rappelleront de très bons souvenirs, n'est-ce pas ?"

Rubis ne semblait pas être dans un grand jour aujourd'hui mais, très sincèrement, la jeune Sainte avait depuis longtemps dépassé le stade d'avoir des états d'âme. Enfants, grands-pères et grands-mères mourants, elle en avait vu tant défiler que ce n'était pas une mauvaise mine qui allait l'adoucir. Elle continua donc.

"Je vais être franche avec vous. Vous devez le savoir, Monsieur Allaway, le jour où nous nous sommes vus devant la Basilique, a été la victime d'un acte terroriste. Je mène actuellement l'enquête pour en déterminer le ou les responsables. De ce fait, j'ai besoin de toutes les informations possibles afin de désigner de potentiels suspects."

Posant les coudes sur la table, la jeune blonde plongea son regard dans celui de son interlocutrice.

"Et j'osais espérer ne pas avoir à attendre que votre bénédiction soit enregistrée dans nos fichiers pour la connaître. Je comptais donc sur votre coopération, mais, visiblement, vous ne semblez pas vouloir être franche avec moi, ce qui peut, vous le savez, vous mettre dans une position délicate."

L'association Basilique/Alistair Allaway m'arracha une grimace et un soufflement rageux. Je n'aimais ni l'un ni l'autre et gardait notre altercation en tête. Ce n'était certainement pas un souvenir plaisant, en effet.
Cependant, je reste silencieuse en attendant la fin de sa tirade. Une chose est sûre, Alicia semblait certaine du fait que je possède une bénédiction. Qu'est-ce qui la rendait si arrêtée là-dessus ? Ce n'est pas comme si avoir une bénédiction était écrit en gros sur mon front. En tout cas elle commence sérieusement à m'agacer. Je croise les bras sur ma poitrine et me laisser aller contre le dossier de ma chaise. Une position rebelle que certains camarades de classe prenaient souvent, jamais moi. Mais faut dire qu'elle m'ennuyait.
Comme si j'allai lui dire "eh oh c'est moi que vous cherchez !"...

"Je ne vais pas vous cacher que je n'ai pas plaint Monsieur Allaway, ce n'est pas quelqu'un que j'apprécie et il semble y avoir eut plus de peur que de mal. Toutefois ce n'est pas parce que je n'apprécie pas une personne que je lui porterai atteinte pour autant. Je ne suis pas une terroriste.
Quant à ma bénédiction je suis navrée pour mais je n'en possède pas à ma connaissance."

Je ne suis pas la personne que vous cherchez, je ne peux rien faire pour vous, au revoir. Non ?

Alicia fut bien incapable de retenir un éclat de rire franc. Magnifique ! La parfaite petite rebelle, là, devant elle ! Défiant l'autorité, sûre d'elle, ne se doutant pas un seul instant qu'ils en savaient sur elle peut-être plus qu'elle n'en savait elle-même. Mais passons. Alicia se laissa retomber contre le dossier de la chaise qu'elle occupait pour l'instant, souriante.

"Bien ! Passons pour le moment sur votre Bénédiction, comme je vous l'ai dit, ce n'est qu'une question de temps avant que je n'en connaisse la nature. Mais laissez-moi donc vous expliquer pourquoi vous figurez sur ma liste de suspects potentiels."

Et sur ce, la jeune Sainte posa sur la table le petit dossier qu'elle avait apporté avec elle, au cas où, dévoilant photographies et listes.

"Je n'ai rien à cacher, Mademoiselle Ehning, et c'est la raison pour laquelle je vous invite à étudier à loisir ces documents. Vous pourrez constater que votre nom se trouve sur la liste des personnes présentes dans le tramway d'où a été lancée l'attaque à l'encontre de Monsieur Allaway, au moment où celle-ci a été lancée. Et, si cela ne vous suffit pas, vous pourrez constater sur les photographies jointes que vous avez été vue en train de monter dans ce tramway peu avant l'attaque."

Le regard d'Alicia se fit plus insistant. Bien évidemment, accuser Rubis relevait, à la base, de l'intuition la plus pure, mais ces preuves étaient, à ses yeux, suffisantes pour se dire que ce n'était peut-être pas qu'une hypothèse.

"Comme vous pouvez le constater, et même si c'est un élément qui m'a poussée à venir m'entretenir aujourd'hui avec vous, votre animosité envers Monsieur Allaway n'est pas le seul élément qui me fait vous suspecter."

La jeune Sainte entreprit de se balancer doucement sur sa chaise, en un rythme précis et régulier, sans pour autant quitter des yeux son interlocutrice.

"Maintenant, je suis prête à vous croire, soyez-en certaine, mais laissez-moi vous dire une chose. Outre vous-même, ma principale suspecte est, si je m'abuse, une de vos connaissances, et mes collègues doivent d'ailleurs être en train de l'interroger en ce moment. Il serait fâcheux que Mademoiselle Endrizzi ait à payer pour vos propres erreurs, non ?"

Elle avait pris le plus grand soin à articuler ses mots, profitant d'un heureux hasard qui leur avait fait prendre connaissance du fait que mesdemoiselles Endrizzi et Ehning, outre le fait qu'elles travaillaient toutes les deux à la faculté Saint-Alexandre, s'étaient régulièrement vues ces derniers temps. La corde sensible, en voilà une belle chose!